mercredi 9 décembre 2009

Aller voir ailleurs si j’y suis (1)

C’était en juin 1998. Je vivais à cette époque une séparation après 15 ans de vie commune. Rien de trop douloureux, pas de déchirement, juste une décision prise en commun. Ceci étant, une séparation, comme bien d’autres moments forts dans une vie, est une occasion de marquer une pause, de faire un retour sur soi, de prendre un temps de réflexion.

À cette époque, j’avais découvert le « chat » sur Internet. De fil en aiguille, j’avais fait la connaissance d’un Dominicain avec qui je conversait régulièrement. Ça lui permettait de pratiquer le français et moi l’espagnol. Virtuellement, nous sommes devenus bons amis. Il avait une famille et habitait dans les montagnes dominicaines, dans le centre du pays, à Jarabacoa, dans la province de La Vega.

C’est ainsi que dans le tumulte de ma séparation, j’ai acheté un billet d’avion pour la République Dominicaine, histoire d’aller voir ailleurs si j’y étais… Je suis parti avec un peu d’argent de poche, un billet de retour ouvert et un numéro de téléphone!

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Après une courte escale à Punta Cana, j’atterris à Puerto Plata à la mi-juin par 42 degrés Celsius et une lourde humidité. De l’aéroport et avec l’aide d’un membre du personnel, je parviens à composer correctement le numéro de téléphone que j’avais et une dame me répond en Espagnol… Baragouinant tant bien que mal cette langue que je n’avais jamais vraiment parlé, je parviens à parler à Guillermo. Ouf! Le numéro de téléphone est le bon, première bonne nouvelle de ce petit périple…

Après quelques arrangements, nous convenons que Guillermo viendra me chercher près de l’aéroport, près de la plage de Playa Dorada, tout près. Il me reconnaîtrait à cause de mon sac bleu et de mon petit drapeau du Québec. Pour ma part, j’avais vu Guillermo en photo, sans plus.

Jarabacoa est située à environ une heure de Puerto Plata, dans les montagnes, en direction de El Pico Duarte, le plus haut sommet des Caraïbes (3175 mètres). Jarabacoa, lieu de l’éternel printemps où la température est toujours d’environ 18 à 20 degrés Celsius à cause de l’altitude est une petite ville d’environ 20 000 habitants située au cœur d’une petite vallée luxuriante où les chiens, les poules et les coqs sont omniprésents au milieu des cultures d’eucalyptus, de café, et de magnifiques fruits…

Deux heures plus tard, je vois arriver une petite Ford Fiesta rouge de laquelle sortent un homme, sa femme et deux jeunes filles… Je reconnais Guillermo et, sans trop savoir pourquoi, nous nous sommes tombés dans les bras, comme si nous nous étions toujours connus. Je fais la connaissance de sa femme Elvira et de leurs deux filles Patricia et Guillel. Ça a été un moment très fort de ma vie. C’est pourtant tellement anodin quand on y pense, mais ça a été un moment que je n’oublierai jamais…

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Après une petite baignade à la plage publique en compagnie de la famille, nous nous sommes entassés dans la Fiesta et nous avons pris la route… Jusque-là, je n’avais pas été trop dépaysé, étant dans un secteur touristique. Ça n’a pas été long avant que la réalité de ce pays me saute dans la face… À peine quelques minutes de voitures et le centre de Puerto Plata dévoilait la pauvreté de ce pays. En fait, l’opulence de la zone touristique ne s’étale que sur quelques centaines de mètres à partir de la plage. À peine quelques rues plus loin, c’est la vie ordinaire, d’un peuple pauvre dans un pays gouverné par la corruption…

Mes hôtes, eux, sont choyés et vivent bien. Guillermo est ingénieur civil et Elvira obstétricienne. Ne sautons pas pour autant à la conclusion de la richesse. Avec leur travail, leur revenu familial est l’équivalent d’environ 30 000 dollars canadiens par année. Mais en République Dominicaine, ça permet de très bien vivre. Leurs enfants vont à l’école et sont promis à des carrières intéressantes, ils ont une gouvernante qui s’occupe de la maison, et ils ont deux autos (deux Ford Fiesta, une rouge et une grise!).

Bref, nous sommes ainsi partis vers Jarabacoa. La radio crache le meringue et la bachata à travers le bruit du ventilateur poussé au maximum pour permettre à la climatisation de refroidir un peu l’habitacle. Nous sommes tassés mais tout le monde est de très bonne humeur et, lentement, nous faisons connaissance. Patricia et Guillel ne cessent de me poser de nombreuses questions auxquelles je ne comprends absolument rien, l’accent de l’arrière pays étant très prononcé. Mais Guillermo me traduit le tout, comme il peut, et nous finissons par trouver les mots nécessaires.

Les filles sont belles et intelligentes. Elles ont les yeux pétillants. Elvira est d’une gentillesse totale et Guillermo est tellement heureux… À ce moment-là, je suis heureux et je me sens bien.

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Nous faisons un arrêt à Santiago de Los Caballeros, au tiers du chemin. C’est la journée de la tombola annuelle dans cette charmante ville. Il y a fébrilité! Les gens des environs sont tous présents dans ce capharnaüm coloré où se côtoient les artisans, les artistes, les producteurs agricoles et les brocanteurs. C’est presque magique! Huit heures auparavant, j’étais encore à Mirabel! Là, presque soudainement, je suis au milieu d’une petite ville, en plein cœur d’une fête, entouré de gens qui me regardent avec un sourire de bienvenue! Wow!

Quelques heures plus tard, nous reprenons la route vers La Vega, puis nous prenons la route des montagnes en direction de Jarabacoa. Il devait être 19h00. Le jour décline lentement…

La route des montagnes est sinueuse et est ponctuée de nombreuses croix de chemin qui rappellent les nombreuses tragédies routières. Chaque fois qu’on y arrive, Guillermo fait son signe de croix, dans un recueillement qui semble réel. Connaissait-il les gens qui ont péris à cet endroit? Je ne l’ai jamais su n’ayant jamais osé poser la question, par pudeur. Les abords de la route sont sales et les fossés remplis de déchets de toute sorte, témoins d’une vie pauvre dans un pays où les services publics sont pratiquement inexistants.

La route des montagnes est bordée de nombreuses maisons de tôle, rafistolées au fil du temps et témoins des nombreuses tempêtes tropicales qui frappent le pays. Il y a beaucoup d’enfants qui malgré leurs accoutrements parfois bigarrés, affichent des sourires qui ne trompent pas sur leur joie de vivre et la solidarité populaire dans laquelle ils vivent… À suivre…

16 commentaires:

Zoreilles a dit…

J'ai suivi ton récit de voyage comme si j'y étais et tu m'as rachevée avec ta dernière phrase. Éblouie j'étais. Tellement belle, cette réalité de là-bas que tu décris dans cette seule phrase. Ces enfants ont tout ce qui nous manque.

Chez moi, avec les miens, il y a beaucoup de République Dominicaine dans l'air cette semaine. J'en reviens jamais comme nos vies se croisent et s'entrecroisent...

Gérard Day a dit…

Zoreilles: Je ne pourrai pas tout décrire, ce serait bien trop long. Mais je vais essayer de vous transmettre un petit peu de cette histoire...

11 ans à peine après et je réalise là, maintenant, tout ce que j'y ai vécu, à Jarabacoa...

C'est que j'ai la nostalgie de ma famille Dominicaine, là, cette année... Je suis toujours en contact avec Guillermo (qui, soit dit en passant, a fait le voyage jusque chez-moi l'année suivante)... Toute une histoire que celle-là!

Anonyme a dit…

Pour avoir vécu quelques années en Amérique Centrale, je comprends ce que vous viviez.

Ces arrets dans une vies sont essentiels. Il faut parfois les oublier temporairement pour fonctionner ici et lors d'épreuves, il est facile de fermer les yeux et de revivre ces moments.

La réalité est là, dans ces moments.

Accent Grave

Dominique- L a dit…

Le monde est petit dit-on.
Je connais la République Dominicaine et le Mexique. J'aime ces pays, plus particulièrement le Mexique. Je ne vais pas là bas pour me faire bronzer, mais pour découvrir les gens, leur culture. Ce qui m'a toujours interpellée, mis à part la pauvreté qui jouxte la richesse, c'est l'accueil, la simplicité et la dignité de ces gens.

Une belle histoire que la tienne.

Bonne soirée.

Gérard Day a dit…

Accent Grave: Oui, c'est tellement vrai qu'on a l'impression de toucher à "la réalité" dans ces moments...

Parfois, j'ai malgré tout l'impression d'avoir manqué quelque chose, à ce moment... J'avais même "failli" m'acheter un terrain tout près de Jarabacoa et j'avais l'argent nécessaire pour m'y bâtir une piaule. Mais je n'ai jamais franchi ce pas...

Do: La simplicité, la dignité, la joie, le bonheur inscrit en éclairs dans les yeux, effectivement. Ne sachant pas vraiment ce qui existe d'autre (je parle du coeur et non des informations) ils ne demandent pas davantage que ce qu'ils ont et surtout que ce qu'ils sont.

Au retour ici, je me suis ennuyé d'eux. C'est aussi ça ma nostalgie de "ma" famille dominicaine cette année...

Rosette ou Rosie, c'est pareil a dit…

Bien que j'aie adoré mes voyages en République et au Mexique, j'ai un gros penchant pour Cuba et son peuple... Si bien que j'y suis retournée 7 fois. Les familles que j'y ai rencontrées et les liens que nous avons tissés sont indélébiles. Voilà une des nombreuses raisons pour lesquelles ton texte m'a remué le coeur, Gérard. Il me semblait être à tes côtés en lisant ton texte et j'ai bien hâte d'en lire la suite! Merci pour ce voyage que tu m'as fait faire et toute la luminosité qui s'en dégage, cher ami!

Claire a dit…

Gérard,

Tu dois avoir un coeur gros comme ça...
Cette histoire est très belle et pleine d'amour...
Et quel titre!
Je ne comprends pas, je dois être un peu nonotte:c'est une phrase un peu dure et tellement à l'opposé de ton billet.
Cette nostalgie, pourquoi s'est-elle réveillée? Tu vas me dire que c'est pas de mes oignons et t'as bien raison!!!
Mais j'ai hâte de lire la suite...
Bon week-end!

Guy Vandal a dit…

En te lisant, j'ai l'impression d'entendre un vieil ami me raconter son voyage.

Un voyage où ses yeux n'étaient pas assez grands. Un voyage où son coeur était omniprésent. Un voyageur qui veut donner, autant que recevoir...

J'ai hâte de lire la suite.

Gérard Day a dit…

Claire: C'était pour aller voir où je me situais dans l'ensemble de ma vie que je suis allé là, en 1998. Ce genre de voyage n'est pas un voyage strictement touristique. C'était, dans mon cas, un voyage introspectif... La phrase n'est pas dure, elle est juste. Parfois, la justice peut être un peu crue, c'est tout... La suite viendra, mais je ne pourrai pas tout raconter, ce serait trop long (comme je le disais à Zoreilles). Mais bon, c'est juste un petit partage!

Guy: Les yeux et les sens ne sont jamais assez grands... C'est parfois comme ça qu'on ne voit pas ce qu'on cherche!

Comme ce pilote d'avion qui disait que "l'essentiel est invisible pour les yeux"... Peut-être qu'un jour, je dessinerai des moutons...

Unknown a dit…

Garard, salut
Est-ce que c'est l'histoire en Jarabacoa? Moi, et ma femme nous vivrons avec lire sa que tu raconte. Les enfants Patricia et Guillel ainsi que Paul, tous sont grand deja, tout se passe trop vite, et nous sont deja veillent....c'est la vie

Un fort embrass

guillermo

Gérard Day a dit…

Guillermo: Quelle belle visite, quelle agréable surprise!

Oui, c'est bien notre histoire à Jarabacoa... Je vous écris bientôt...

Lecteurs et lectrices: Le commentaire précédent est de l'homme qui ma accueilli en République Dominicaine en 1998. Naturellement, il écrit avec un "petit accent" mais avec beaucoup de chaleur... :-)

Zoreilles a dit…

J'ai cette étrange habitude de revenir parfois en arrière, tout à coup...

J'ai été émue de lire Guillermo. « Un fort embrass » qu'il écrit, c'est si joli, si parfait, si chaleureux que ça valait la peine de revenir sur nos pas pour lire ça... Quelle poésie, « Un fort embrass » il pouvait bien aimer écouter Félix Leclerc!

Unknown a dit…

Zoreilles, merci, tu es tres aimable de ta part. Moi,J'aime beaucoup Feliz Leclerc, j'ai une cassette de lui pour 10 ans, mon ami Gerard Day me l'a donner. J'aime la poesie. j'aime PABLO MILANES, le cubain chanteur de la belle poesie. il chante ....quelque comme ca: "le temps se passe et nous revenons viei..". En espagnol sera comme ca: "EL TIEMPO PASA Y NOS PONEMOS VIEJOS..." mais la poesie sera viei jamais....c'est pour faire vibrair notres coeur, et pour nous dire...vivre, la vie est belle.
Quelqu'n a dit: poète, musicien et nous avons tous un peu fous

Gérard Day a dit…

Guillermo, tu es un artiste sensible!!!

Aussi, comment va Leo Suarez? Est-ce qu'il fait encore de la Bachata avec son groupe?

Zoreilles a dit…

Merci Gérard d'avoir raconté cette histoire, cette fabuleuse histoire vraie de bonheur tout simple mais si grande.

Merci à Guillermo pour toute la poésie...

Vous êtes deux beaux cadeaux de Noël pour moi!

Unknown a dit…

OUi, bien sur!! Leo Suarez il joue la bachata encore avec son group. Il fait des semaine sans le voir lui, mais il va bien ainsi que sa femme Africa. Leo s'ennuie a toi encore, il aime beaucoup ton facons de jouer la guitarra.

Merci, nous tous (toi, leo, Elvira et moi) nous avons une artiste dans notres coeur, sans l'etre necessairement.

chao.

guillermo